Birthday call : le métronome d’une vie

Ludovic Delaherche
4 min readJan 4, 2022

Je suis né un 28 décembre. «Et alors?» me direz-vous ? Les Capricorne natifs du 1er décan comprendront de quoi je parle. Non pas que j’ai un intérêt quelconque pour l’astrologie. Non, ce serait plutôt l’anthropologie qui permettrait d’aborder ce sujet. Comprendre comment un anniversaire peut devenir une tension. Les natifs du premier décan pourraient vous expliquer l’impossibilité d’organiser un goûter d’anniversaire. Tous vos camarades sont partis dans leurs familles respectives où sont en vacances. Vous savez en vous réveillant le matin qu’il y a peu de chance que vos potes vous souhaitent votre anniversaire (je vous parle d’un temps d’avant facebook bien sûr). Et bien que les raisons en soient rationnelles, enfant, vous ne pouvez qu’en ressentir une pointe de désamour. Surtout lorsque toute l’année, les cartons d’invitations aux goûters des uns et des autres s’échangent dans la cour de récréation. Vous devenez cet individu un peu bizarre «qui n’aime pas les anniversaires».

Aussi loin que je m’en souvienne, cette sensation a été atténuée par une certitude: l’appel de ma grande tante Geneviève a l’heure exacte de ma naissance

Ma grande tante Geneviève est de ces femmes qui marquent une vie. Pourquoi à l’heure exacte de ma naissance ? Car elle est sage-femme et que ma maman a accouché dans son hôpital. Elle est là depuis ma naissance et pose depuis son regard froid et implacable sur moi. Un chignon serré, un regard glacial, elle peut être terrifiante pour un enfant. Jusqu’à ce que son sourire et son rire sincère n’ouvrent les portes d’un monde plein d’amour. Elle n’a jamais eu d’enfant et aime ceux des autres comme si c’était les siens.

Geneviève c’est ma première ouverture vers un monde plus vaste. Née Champlon, elle se mariera avec Martial Leblanc, indien de Pondichery. Diplomate qui tombant fou amoureux de ma tante devint prof d’anglais à Créteil pour construire leur vive commune.

Geneviève était ma nounou quand j’étais petit et nos après-midi étaient peuplés de chats portant le nom de divinité indoue, de cuisine étrange (vous pourriez vivre dix vies sans jamais pouvoir manger des travers de porc au gingembre comme les siens). Des rouleaux de printemps que nous préparions tous les deux. Sortir faire les «commissions» avec eux c’est s’enfoncer dans des veines secrètes du 13eme arrondissement au milieu d’odeur inconnues et de cultures qu’elle semble maîtriser. Une dose d’excentricité inconnue pour un enfant qui n’est jamais sorti de France.

Geneviève c’est mon premier cinéma pour allez voir «Les morfalous». Avec mon regard en coin dans sa direction quand Marie Laforêt s’exclame «c’est bien la première fois qu’il fait des étincelles avec sa bite!». Contenant mon rire de gamin face à son regard fixe imperturbable.

Elle pouvait être dure mais, je savais que jamais elle ne raterait un appel du 28 décembre à 16h

Geneviève ce sont des après-midi passés à lire. Et, comble du cool, chez elle les BD étaient reliées de cuir. Lire Astérix devenait quelque chose de noble, d’assumé, un truc important. Rire aussi était important et elle m’encourageait avec mon grand oncle Martial a interrompre les conversations des grands pour déclamer un «blaguons» (encart de bas de page de pif et hercule contenant une blague souvent assez navrante mais à laquelle elle riait de bon cœur)

Geneviève c’est aussi la mémoire de la famille. Celle qui rabiboche après les disputes. Celles qui rappellent aux parents leurs propres turpitudes quand ils étaient jeunes ou enfants. Celle dont personne ne remets en cause le jugement tant il est bienveillant. Celle dont on sait qu’on peut toujours compter sur elle, sans jugement, à n’importe quelle péripétie de la vie. Celle qui ne ratera jamais un appel d’anniversaire à l’heure exacte de ma naissance.

Il y a des ancrages dans une vie qui font que vous pouvez vous éloigner, vous perdre, prendre des chemins de traverses, des détours enrichissants ou des boucles sans fin. Ils vous ramènent une dose de certitude qui vous recharge, vous recentre. Vous re-enracine avant de repartir de plus belle. Quand tant de personnes oublient, quand un père n’appelle pas une fois en 30 ans, l’appel de Geneviève à chaque 28 décembre à 16h c’est un métronome qui rythme la musicalité d’une vie. Chaque matin de cette date anniversaire il y a d’abord une forme d’inquiétude face à tous ces oublis, un réflexe de défense face à ce sentiment de désamour qui ne manquera pas de surgir, et puis il y a la certitude de l’appel de Geneviève qui fait qu’on se lève avec le sourire.

Le 28 décembre 2021 j’ai eu 45 ans, Genevieve ne m’a pas appelé.

Ma grande tante Geneviève Leblanc née Champlon. Cette femme si incroyable, forte, loyale, aimante et indestructible est morte le 28 décembre 2021 au matin, elle s’est éteinte le jour de mon anniversaire.

Grâce à elle je vais pouvoir poursuivre ma vie de la même manière: en pensant à elle au matin de chacun de mes anniversaires et je suis sur que si elle le pouvait, elle trouverait quand même un moyen de m’appeler à 16h.

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