Le courage de dire merde …

Ludovic Delaherche
7 min readApr 17, 2017

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En ce moment plus que jamais je me souviens d’une remarque que Patrick Bruel m’avait fait il y a plusieurs années qui prends tout son sens. Mais commençons par une anecdote plus récente à propos de mon propre manque de courage et de ses implications …

Je sors de chez moi en fin de d’après midi. Un homme passe devant moi en courant , je le suis du regard avant de, par réflexe, regarder dans la direction opposée. Là je vois une femme par terre au milieu de la route. Je regarde vivement où est cet homme qui cours, il est déjà à 200m. Il se passe peut être 2 secondes. 2 secondes d’hésitation qui font que le type est encore plus loin. Une pote, Héléna, sors du restaurant qui est en face de chez moi et me demande ce qui se passe. Je lui raconte en ajoutant “j’ai réagi trop tard il était trop loin”.

Je lui ai menti …

Je me suis menti à moi même …

La vérité est que j’ai manqué de courage

Bien sur que je ne l’aurais pas rattrapé en 200m, mais tout le monde dans la rue a manqué de courage. Si je m’étais mis à courir d’autres auraient trouvé le courage de réagir, de s’interposer, de le ralentir, de l’arrêter…

Si j’avais eu le courage de tenter de faire quelque chose d’impossible d’autres auraient eu le courage de réussir !

Tu penses à ça et puis tu tombes sur des images saisissantes

Cet Homme incroyable qui sauve la vie d’un enfant après un attentat. Cet Homme que nous regardons comme un fait divers alors qu’il s’agit de la forme le plus puissante de courage: il a risqué sa vie, il a risqué de tout perdre, il a risqué de faire de sa femme une veuve et de son enfant un orphelin pour sauver un enfant qu’il ne connait pas. En voyant cette image nous tentons de secrètement nous convaincre que nous ferions pareil, bercés par les images héroïques des films et series que nous engloutissons pendant que le monde sombre. Il n’en est rien. Je sais à présent que je serais resté pétrifié sur place. J’ai honte mais je ne vais pas me mentir deux fois… Et puis cet Homme est reporter de guerre, il est habitué à la violence et aux explosions. Il a déjà vu des cadavres: c’est plus simple pour lui, il est blindé…

Et puis il y a la photo du moment juste après…

J’aime cet Homme… Il devrait être reçu par tous les Présidents du monde et honoré pour son Humanité. Mais encore une fois, c’est notre réaction qui me fait hurler. Non seulement nous nous cherchons des excuses à notre lâcheté (il est reporter, il a l’habitude etc) mais nous faisons instinctivement bien pire

Devant ces images d’un Homme sauvant un enfant et s’effondrant submergé par la détresse et la crasse de notre monde, certains y voient un homme sauvant un enfant et s’effondrant, d’autres y voient un arabe sauvant un enfant ou un musulman courant avec un enfant, j’y ai vu un reporter, d’autres un barbu.

Même devant l’expression la plus pure et la plus puissante d’Humanité: nous ne pouvons pas nous empêcher de ranger cet Humain dans une case.

Pourquoi ce réflexe ? Pourquoi ne pas pouvoir juste voir quelqu’un comme un Humain. C’est ça que m’avait dit Bruel il y a quelques années dans une conversation autour d’une finale de Coupe de France “Pourquoi serais-je obligé d’être pour l’un ou pour l’autre ? Pourquoi cette nécessité de me ranger dans un camp?” Il avait raison putain … Nous ne pouvons pas nous empêcher de construire des oppositions. Cette culture est amplifiée et distillée aux nouvelles générations par la téléréalité.

Cette culture est instrumentalisée politiquement et porte un nom : le communautarisme

Voilà le coeur du problème : nous ne pouvons plus débattre, confronter nos points de vues sans être catégorisés. Nous jugeons les Humains pour ce qui semble nous opposer. Je ne peux pas débattre avec un noir sans etre blanc, avec un blanc sans etre un meteque, avec une femme sans etre un homme, un juif sans etre antisemite, un catho sans etre un islamo-gauchiste, un musulman sans etre raciste, avec un roux sans etre brun, un petit sans etre un grand, un mince sans etre un gros, un vegan sans etre un boucher et avec un boucher sans etre un bobo.

Les corollaires de ce communautarisme sont nombreux et nocifs. Nous banalisons des étiquettes qui désignent des réalités dangereuses, nous nous empêchons tout débat qui est pourtant l’un des seuls moyens d’évolution d’une civilisation et de construction de l’interêt commun. c’est aussi un facilitateur pour tous ceux qui veulent nous manipuler. Un cocainomane alcoolique criminel tente de tuer un militaire dans l’exercice de sa mission de protection ? Il devient un islamiste radical alors même que son hygiene de vie semble indiquer qu’iln’a rien à voir avec les préceptes de cette religion. A nouveau nous construisons immediatement une opposition et un amalgame nocif. un déséquilibré depressif qui fonce dans une foule n’est pas non plus un acte terroriste religieux: c’est un criminel déséquilibré qui tue des gens.

Quand vous interrogez des gens dans les meetings à partir des mesures de leurs candidats vous vous apercevez qu’ils sont contre le programme qu’ils defendent mais se refere au dictat de leur communauté pour leur vote. Nous nous trouvons contraint de nous déclarer de plusieurs communautés et suivre servilement ce que cette communauté nous dit de faire et de penser SURTOUT lorsqu’il s’agit de s’opposer à une autre communauté : dans ce cas précis, il convient de soustraire toute reflexion et toute remise en cause et de s’opposer servilement. Ce phenomene porte plusieurs noms : le sociologisme en est un (coucou Etienne) un autre est le Fascisme

Et c’est ce Fascisme qui nous interdit de vouloir penser différemment. Et c’est là qu’il faut dire MERDE…

C’est ce fascisme qui permet à nos politiques de faire passer les pires indécences et de nous faire nous opposer à ce propos.

Un ami que j’estime a publié sur Facebook

“arretez de dire pour qui vous allez voter : vous n’aurez aucune chance de convaincre les gens qui ont un avis opposé”

Il n’y aurait donc aucune autre solution ni aucun autre schéma d’inter-relations ? Nous serions condamnés à nous opposer ?

J’aurais aimé réagir immédiatement et me mettre à courir pour corriger une injustice et venir en aide à une Humaine qui a été violentée. Mais je sais aussi que je suis capable de regarder une personne que je vois la pour la première fois en tant qu’Humain. C’est cette capacité qui me permet de débarquer à un apéro samedi invité par un Humain sur et de tomber sur un Humain sensible. De parler spontanément de politique, d’utopie et d’Humanité sans être jugé, m’emballer, blaguer, nous tomber dans les bras, nous dire qu’on s’aimait. Peu importe la couleur de notre peau, de notre genre, de nos préférences sexuelle, notre religion, notre croyance, la musique qu’on écoute.

Nous sommes aperçu que nous étions deux Humains diametralement opposés qui vibraient sur les mêmes vibrations humaines et qui partagions certains rêves.

Alors à tous les Humains qui cherchent à nous opposer les uns les autres, à ceux qui combattent par principe les rêveurs et les utopistes, aux Humains qui font prévaloir une communauté sur l’Humanité :

JE VOUS EMMERDE

EDIT

Suite à la publication de ce billet une amie l’a fait lire à son papa qui est un Humain que je ne connais pas mais pour qui j’ai beaucoup de respect. Sa réponse m’a bouleversé et je tenais (en toute humilité) à vous la partager car c’est dans ces mots que le sens de la vie s’exprime

Tu diras à ce monsieur que le vieillard de 61 ans que je suis ne peut que courber l’échine face à tant d’Humanité. Tu vois ma chérie, ses mots reflètent ce pourquoi je me suis tant battu: l’Humanité! Nous vivons des heures sombres, la vie est dure et ton smicard de père a fait face à tant d’épreuves, j’ai voulu inculquer à mes filles des valeurs, j’ai voulu vous préparer au pire mais j’ai toujours fait en sorte que vous ne perdiez pas confiance en l’autre. Ce Monsieur ne manque pas de courage, ses mots me parlent et me touchent. Je m’endormirai le coeur un peu moins lourd. A demain incha’Allah

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Ludovic Delaherche
Ludovic Delaherche

Written by Ludovic Delaherche

Analyste politique, entrepreneur, marketing, ecriture

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